
Un nouvel épisode fiscal pour les professions libérales en société de capitaux
Nouvel épisode dans la définition du statut fiscal de la rémunération des professionnels libéraux exerçant au sein de structures de capitaux soumises à l’impôt sur les sociétés, la décision rendue par le Conseil d’État le 08 avril 2025 entérine définitivement la nécessité pour eux de se livrer à une savante distinction entre la part de la rémunération qui leur est allouée au titre de leurs fonctions techniques et celle qu’ils perçoivent au titre de leurs fonctions de direction de la structure dans laquelle ils exercent.
Un peu d’histoire
On se souvient que jusqu’à la modification brutale de la doctrine administrative le 15 décembre 2022 , le sort fiscal de la rémunération des dirigeants des sociétés d’exercice libéral (SEL) était pour le moins incertain.
D’un côté, deux décisions du Conseil d’État rendues le 16 octobre 2013 puis le 08 décembre 2017 contraignaient les associés non dirigeants de SELAFA (1ère décision) et les associés dirigeants de SELAS (2nde décision) à distinguer entre la rémunération allouée au titre des fonctions techniques qui relevaient de la catégorie des BNC et celle versée au titre des fonctions de direction relevant des traitements et salaires (TS).
De l’autre, la doctrine administrative, tel un refuge, affirmait que les gérants de SELARL relevaient de l’article 62 du CGI , les dirigeants des SELAFA et SELAS de l’article 80 ter du même code tandis que les associés non dirigeants relevaient soit du régime des TS soit du régime des BNC (réponse Cousin).
La bascule du 15 décembre 2022
Le 15 décembre 2022 , l’administration fiscale a brutalement mis sa doctrine en conformité avec les deux décisions du Conseil d’État en érigeant le principe d’imposition des rémunérations des fonctions techniques des associés de SEL (dirigeants ou non) dans la catégorie des BNC, sauf en présence d’un lien de subordination , hypothèse dans laquelle la rémunération est imposée dans la catégorie des TS.
Cette modification entraînait de facto la perte de l’abattement de 10% sur une part extrêmement significative de la rémunération allouée aux associés dirigeants, eu égard à la conception pour le moins restrictive de la fonction de direction.
Précisions apportées par le BOFIP du 24 avril 2024 .
Le report de 2024 de la réforme donna l’occasion à l’administration de préciser sa vision de l’associé exerçant (Non soumission à la TVA et à la CFE) ou celle du partage des attributions entre fonctions techniques et celles de direction.
Ce nouveau BOFIP, par son souci zélé du détail, allait au-delà de ce qu’il était possible pour l’administration et créait de fait une distinction entre les professionnels obligés de recourir au statut des SEL et ceux autorisés à exercer par des sociétés de droit commun.
Le recours du CNB et la décision du 08 avril 2025
C’étaient là les causes du recours pour excès de pouvoir introduit par le CNB ayant conduit à la décision du 08 avril 2025 dont trois enseignements majeurs peuvent être tirés.
Une décision dont les effets dépassent le seul cas du gérant majoritaire de SEL
- Premièrement, la décision pour mettre fin à la rupture d’égalité créée entre les professionnels exerçant en SEL et ceux exerçant dans des sociétés de droit commun, indique expressément que les règles d’imposition édictées par le BOFIP s’appliquent indifféremment à tous les professionnels.
Bien que ne visant que les dirigeants de SELARL et de SELCA, la décision du 08 avril 2025 ne peut s’entendre, eu égard aux précédents de 2013 et 2017, que comme s’appliquant à tous les professionnels libéraux, sans distinction de la structure d’exercice (SEL ou non ; par actions ou non).
- Deuxièmement, le Conseil d’État considère que l’article 62 du CGI , qui vise toutes les rémunérations allouées au gérant, ne fait pas obstacle à ce qu’une partie de cette rémunération relève du régime BNC, validant définitivement l’obligation de partager la rémunération entre les deux catégories pour les gérants majoritaires.
- Enfin, le Conseil d’État valide le BOFIP en ce qu’il prévoit que l’application du micro-BNC en 2024 doit s’apprécier en tenant compte des rémunérations perçues en 2023 et 2022 fictivement considérées comme déclarées en BNC.
Lot de consolation ou cadeau empoisonné, le Conseil d’État fait en revanche droit à l’argument du CNB et annule le critère de 5%, laissant le partage entre les deux rémunérations à l’appréciation totale des agents de l’administration.
Et maintenant ?
En l’état, le 1er impact est clair : la perte définitive de l’abattement de 10% pour la rémunération des associés dirigeants.
Par ailleurs, il leur sera nécessaire de se constituer des éléments de preuve solides pour justifier du partage opéré entre les deux rémunérations (délibération des organes, suivi des temps, justificatif des actes accomplis, etc.), sachant que le critère de 5% reste applicable aux revenus 2024, la décision commentée ne s’appliquant pas aux impositions dont le fait générateur est antérieur à sa publication.
Quelles perspectives pour les professions libérales ?
Pour le futur, cette décision avec d’autres (cf. CE 26 avril 2024 n°491673) excluant les associés de SEL du statut de l’entrepreneur individuel ou Cass. civ 2ème 19 octobre 2023 n°21-20.366 à propos de l’imposition aux cotisations sociales des dividendes versés par une SEL à une SPFPL) laissent à penser qu’il est, en l’état, difficile pour les professions libérales de développer une vision entrepreneuriale de leur activité au sein de sociétés de capitaux, qu’elles soient ou non des SEL.
En l’état, seule une intervention du législateur pourrait permettre de changer la donne. Le souhaite-t-il alors que deux amendements proposant l’imposition de tous les associés exerçant dans une structure de capitaux selon les règles de l’article 62 du CGI ont été rejetés ?
Ce texte est le fruit d’une collaboration entre les cabinets Arbor Tournoud & Associés et JSA Avocats Associés , qui unissent leur expertise pour éclairer les enjeux juridiques liés à au sujet : Fiscalité des professionnels libéraux en SEL : décision du CE du 8 avril 2025
✍️ Cosigné par :
Maître Jean-François Daly , Avocat associé – JSA Avocats Associés
Maître Marc Tournoud , Avocat associé – Arbor Tournoud & Associés